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Fenêtre ouverte sur la vie Syrienne
Cela fait maintenant quatre ans que le coeur des Syriens bat au rythme de la guerre. La vie a dû s’apprendre autour de nouveaux paramètres à prendre en compte. Étant syrienne, redécouvrir mon pays après quatre ans d’absence s’est avéré être une expérience très forte. Pour la population, la terreur première des obus laisse désormais place à l’habitude. Une journée où l’on entend vingt explosions est alors une journée calme. La peur est apprivoisée, les larmes et la joie se bousculent à une vitesse effarante. Aussi, quand une explosion a lieu près de l’école fréquentée par un enfant de la famille, ou près du quartier d’un être cher, les premiers instants sans nouvelles sont vécus tragiquement. Puis, une fois rassuré, la vie reprend son cours. On pleure le voisin, mais l’on se relève pour ses proches, pour garder ce souffle de vie et ne jamais le laisser s’éteindre.
Salamyeh, ville d’origine de ma mère, qui se trouve à l’est de Hama, est peuplée d’Ismaéliens (Chiites) et d’Alaouites et est –du fait de sa population à la liberté inacceptable aux yeux de l’État Islamique (EI) et de sa position stratégique entre Homs et Alep– une cible à atteindre. Malgré la présence de l’EI, dont les soldats ne sont qu’à quelques kilomètres des portes de la ville, passants et chars se mélangent quotidiennement dans les rues commerçantes, sans crainte mutuelle, puisque la présence militaire est ici rassurante pour la population. Celle-ci, consciente du danger, ne se prive pour autant pas de sortir le soir, de s’exprimer ou de boire un verre d’arak entre amis sur les trottoirs de la ville.
Parmi les passants, il y a ces mères fortes mais brisées par la peur que leurs fils aient à rallier l’armée dès leur majorité ; ces fils, terrifiés et perdus face à un conflit pour lequel ils devront prendre les armes et aller au front, souvent sans convictions.
J’ai pu constater également l’augmentation frappante et fulgurante du coût de la vie. En 2010, la Syrie n’avait pas de dette publique et produisait quasiment toutes ses denrées alimentaires mais désormais, d’importantes régions syriennes productrices de matières premières, comme par exemple Alep, sont aux mains de Daesh. Entre les territoires occupés et ceux qui ont été détruits, le besoin d’importer s’est avéré croissant et vital, augmentant ainsi le coût de la consommation. L’embargo économique appliqué sur la Syrie depuis 2011, ayant pour but d’ affaiblir le régime, a de ce fait et plus que tout autre chose affaibli le niveau de vie des populations des classes moyennes à pauvres. L’inflation et la perte d’emplois ont alors mené à une nouvelle manière de consommer, bien différente de celle de l’avant-guerre. La rareté de l’eau –dans de nombreuses régions la population a de l’eau courante environ deux fois par mois– et de l’électricité –présente environ trois heures par jour– participe à ces changements. En conséquence, les personnes travaillant dans l’alimentation, et notamment les bouchers et les primeurs, ont vu leurs prix multipliés par dix: un salaire qui suffisait autrefois pour un mois satisfait désormais à peine les dépenses d’une semaine.
À l’instar des ressources alimentaires, d’autres types de ressources comme le mazout se font rares. Aller mettre de l’essence dans sa voiture devient une véritable escapade. On se lève aux aurores, un thermos de café sous le bras pour pallier la fatigue et endurer les files d’attente aux stations essence qui, parfois, ne désemplissent pas avant la tombée de la nuit. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’après huit heures d’attente, l’essence soit épuisée. On retente alors le lendemain en espérant que cette fois, notre tour viendra.
Ainsi, la vie continue.
Des associations naissent afin d’occuper les jeunes et de créer des élans de solidarité et d’optimisme. À Salamyeh, une sortie à vélo est organisée chaque semaine, des mouvements musicaux pour la paix naissent, et les modestes dons de la population permettent aux étudiants de peindre les murs de la ville de mille couleurs, insufflant de l’espoir dans des paysages ternis par la fatigue et la résignation.
Line Soukouti, étudiante en Sciences de la Vie
photo – Line Soukouti